Israël Joshua Singer • La famille Karnovski (1943)

La famille Karnovski • Israël Joshua Singer • 1943 • Folio • 768 pages

La famille Karnovski retrace le destin de trois générations d’une famille juive qui décide de quitter la Pologne pour s’installer en Allemagne à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. Comment Jegor, fils d’un père juif et d’une mère aryenne, trouvera-t-il sa place dans un monde où la montée du nazisme est imminente?

Publié en 1943 alors que les nazis massacrent les communautés juives en Europe, le roman d’Israël Joshua Singer est hanté par ces tragiques circonstances et par la volonté de démêler le destin complexe de son peuple.


Une de mes bonnes résolutions de 2021 était de découvrir la littérature israélienne ou des auteurs écrivant en hébreu ou yiddish. J’ai commencé ce nouveau voyage par ce roman d’Israël Joshua Singer. Adorant les sagas familiales ayant un fort ancrage dans un contexte historique, La Famille Karnovski me semblait un choix judicieux, qui ne pouvait que me plaire. Il me rappelait quelque peu La Saga Moscovite de Vassili Axionov. Les deux sont des énormes coups de coeur que je recommande.

Le roman s’intéresse à trois générations de Karnovski dans un contexte historique qui va de quelques années avant la Première Guerre mondiale, puis l’auteur évoque l’entre-deux-guerres et la montée du nazisme et le début de la Seconde Guerre mondiale. Ce que j’ai apprécié durant cette lecture est que l’auteur ne donne jamais une date précise. Cependant, les indices, notamment par rapport à certains événements historiques, comme la Nuit de cristal, donnent la temporalité et une idée plus précise du temps qui passe. Ce n’est pas ce qui est le plus important dans ce roman. En effet, l’auteur montre plutôt comment les changements dans la société impacte la famille, la manière dont ils les vivent à la fois à leurs échelles et avec leurs sensibilités propres, mais également à celle de leur communauté. J’ai aussi aimé la manière dont Israël Joshua Singer décrit ce contexte historique mouvant et difficile. J’ai vraiment trouvé qu’à travers les expériences des différents personnages et leurs vécus, on sent celui de l’auteur. Le roman est criant de vérité de ce point de vue.

Il y a trois personnages principaux : David, le patriarche, son fils Georg Moïse et son petit-fils, Jegor. Le point commun entre eux est leur entêtement et opiniâtreté. Ils sont tous les trois extrêmement têtus et persuadés d’être dans le vrai. Après, ils ont des caractères totalement différents, des positions aussi qui diffèrent sur des sujets variés, mais plus particulièrement sur leur conception de la foi juive. Ce qui amènent des conflits au sein de la famille, car ils réagissent selon leurs sensibilités, mais aussi dans le contexte historique dans lequel ils ont grandi. Encore une fois, le lecteur peut voir comment l’histoire donne des caractères, des conceptions différentes au sein d’une même famille. Néanmoins, ce sont trois personnages attachants.

David m’a plu par sa volonté de s’intégrer à tout prix au sein de sa nouvelle communauté à Berlin, mais également de garder et d’inculquer les valeurs de sa foi à ses descendants. Son fils, Gregor Moïse est un célèbre chirurgien allemand qui m’a étonné par sa résilience, le courage de trouver sa propre voie, d’accepter les changements et d’émigrer. Cependant, c’est le fils de ce dernier, Jegor, qui m’a le plus touché et bouleversé parmi les trois générations de Karnovski. Il est peut-être le plus complexe d’entre eux. Il grandit au sein d’une famille où son père est juif et sa mère est considérée comme une bonne Aryenne dans un contexte de montée du nazisme et où il est difficile d’être les deux. Il vit une véritable crise d’identité à une période de sa vie qui n’est pas la plus facile, l’adolescence. Je pense que rien que pour ce personnage, il faut lire ce roman.

Le roman est très bien écrit, et malgré tout, la tension est au rendez-vous. Les pages se tournent toutes seules, car on s’attache aux personnages principaux, comme secondaires. Le lecteur attend que le drame arrive. Il survient dans les dernières pages et de là provient mon unique petit point de déception concernant ce roman. En effet, la fin est un peu brusque, par rapport au reste de l’intrigue. Le rythme s’accélère énormément dans les dernières pages et l’auteur m’a laissé sur ma faim concernant le destin des différents membres de la famille Karnovski. Même si le livre s’approche des huit-cent pages, je n’aurai pas boudé mon plaisir si l’auteur en avait rajouté une centaine, voire même un peu plus. J’ai quitté les Karnovski avec un pincement au coeur.

Malgré cette petite note finale, le roman a été un énorme coup de coeur. Israël Joshua Singer est un auteur que j’aime beaucoup. J’avais également dans ma bibliothèque un autre roman de lui, une autre saga familiale aussi, Les frères Ashkenazi. J’ai aussi beaucoup aimé, mais pas un énorme coup de coeur comme pour La famille Karnovski.

Top 5 Wednesday • Les livres que j’aimerais lire avant la fin de l’année

Ce n’est pas un thème officiel du groupe, mais j’avais envie de parler des livres que j’aimerais beaucoup pouvoir lire avant la fin de l’année…

Ceux de ma pile à lire

La Passe-Miroir, La Tempête des échos • Christelle Dabos

Outre le fait d’avoir enfin le dernier mot sur ces quatre tomes qui m’ont tenu en haleine, je termine aussi une série parmi toutes celles que j’ai commencé.

Babylon Berlin • Volker Kutscher

J’ai adoré la première saison qui en est tiré et j’aimerai beaucoup découvrir le roman. Il s’agit du premier tome d’une nouvelle série, par contre… J’en termine une pour en commencer une autre.

Les frères Ashkenazi • Israël Joshua Singer

J’ai lu il y a quelques mois La famille Karnovski que j’avais adoré, un véritable coup de coeur. J’avais aussi cet autre roman de l’auteur dans ma pile à lire qu’il me tarde de lire.

Trois étages • Eshkol Nevo

Je continue de découvrir la littérature israélienne ou en yiddish et celui-ci me tente énormément. Je ne connais pas du tout l’auteur donc une totale découverte.

1793 • Niklas Natt Och Dag

J’adore les policiers historiques, mais je n’en ai jamais lu autour de la Révolution française. Celui-ci me permettrait de sortir quelque peu de ma zone de confort.

Ceux de ma wish-list

La plupart des livres que j’évoque ne sont même pas dans ma liseuse ou pile à lire…

Ariadne • Jennifer Saint

Adorant les réécritures de la mythologie grecque, je ne peux pas passer à côté de cette lecture. Le résumé a piqué ma curiosité et la couverture est absolument sublime.

Dracula’s Child • J.S. Barnes

Il traîne depuis un moment dans ma wish-list. J’adore cet éditeur, Titan Books. Il publie beaucoup de fantastique et fantasy, horreur dont les Christina Henry. Pour le moment, je n’ai jamais été déçue et celui-ci s’inspirant de Dracula me tente énormément.

A Game of Lies • Rebecca Cantrell

Il s’agit du troisième tome d’une série que j’ai commencé l’année dernière et que j’aimerai continuer (et terminer). Les deux premiers avaient été des coups de coeur.

Annelies • David Gillham

Un autre roman qui traîne depuis bien trop longtemps dans ma wish-list et que j’aimerais beaucoup lire.

Hamnet • Maggie O’Farrell

Un roman qui a souvent été vu sur la blogosphère mais que je n’ai pas encore eu l’occasion de découvrir.

Top 5 Wednesday • Long series

Le thème du jour propose de parler de nos séries littéraires préférées. Elles doivent contenir plus de trois tomes, pour être considérée comme une série longue.

Peter Grant – Ben Aaronovitch

Probationary Constable Peter Grant dreams of being a detective in London’s Metropolitan Police. Too bad his superior plans to assign him to the Case Progression Unit, where the biggest threat he’ll face is a paper cut. But Peter’s prospects change in the aftermath of a puzzling murder, when he gains exclusive information from an eyewitness who happens to be a ghost. Peter’s ability to speak with the lingering dead brings him to the attention of Detective Chief Inspector Thomas Nightingale, who investigates crimes involving magic and other manifestations of the uncanny. Now, as a wave of brutal and bizarre murders engulfs the city, Peter is plunged into a world where gods and goddesses mingle with mortals and a long-dead evil is making a comeback on a rising tide of magic.

C’est une série que j’aime énormément et qui comprend une dizaine de tomes. J’en ai déjà lu six et je suis en train de la terminer, doucement mais sûrement. J’adore cette histoire qui devient de plus en plus sombre au fur et à mesure et qui contient de nombreuses références à la pop culture anglaise et des touches d’humour anglais divines.

Les Rougon-Macquart – Émile Zola

Dans la petite ville provençale de Plassans, au lendemain du coup d’État d’où va naître le Second Empire, deux adolescents, Miette et Silvère, se mêlent aux insurgés. Leur histoire d’amour comme le soulèvement des républicains traversent le roman, mais au-delà d’eux, c’est aussi la naissance d’une famille qui se trouve évoquée : les Rougon en même temps que les Macquart dont la double lignée, légitime et bâtarde, descend de la grand-mère de Silvère, Tante Dide. Et entre Pierre Rougon et son demi-frère Antoine Macquart, la lutte rapidement va s’ouvrir. Premier roman de la longue série des Rougon-Macquart, La Fortune des Rougon que Zola fait paraître en 1871 est bien le roman des origines. Au moment où s’installe le régime impérial que l’écrivain pourfend, c’est ici que commence la patiente conquête du pouvoir et de l’argent, une lente ascension familiale qui doit faire oublier les commencements sordides, dans la misère et dans le crime.

En une vingtaine de tomes, Émile Zola évoque une famille et ses descendants dans la France du Second Empire. J’en suis quasiment à la moitié et, de manière générale, j’ai aimé chacun des tomes pour des raisons différentes.

Soleil Noir – Éric Giacometti et Jacques Ravenne

Dans une Europe au bord de l’abîme, une organisation nazie, l’Ahnenerbe, pille des lieux sacrés à travers le monde. Ils cherchent à amasser des trésors aux pouvoirs obscurs destinés à établir le règne millénaire du Troisième Reich. Son maître, Himmler, envoie des SS fouiller un sanctuaire tibétain dans une vallée oubliée de l’Himalaya. Il se rend lui-même en Espagne, dans un monastère, pour chercher un tableau énigmatique. De quelle puissance ancienne les nazis croient-ils détenir la clé ? À Londres, Churchill découvre que la guerre contre l’Allemagne sera aussi la guerre spirituelle de la lumière contre l’occulte. Ce livre est le premier tome d’une saga où l’histoire occulte fait se rencontrer les acteurs majeurs de la Seconde Guerre mondiale et des personnages aux destins d’exception : Tristan, le trafiquant d’art au passé trouble, Erika, une archéologue allemande, Laure, l’héritière des Cathares…

Le quatrième tome vient de sortir et j’ai déjà lu les trois premiers. C’est une série prenante autour de reliques, d’archéologie, d’aventures…

Erica Falck – Camilla Läckberg

Erica Falck, trente-cinq ans, auteur de biographies installée dans une petite ville paisible de la côte ouest suédoise, découvre le cadavre aux poignets tailladés d’une amie d’enfance, Alexandra Wijkner, nue dans une baignoire d’eau gelée. Impliquée malgré elle dans l’enquête (à moins qu’une certaine tendance naturelle à fouiller la vie des autres ne soit ici à l’œuvre), Erica se convainc très vite qu’il ne s’agit pas d’un suicide. Sur ce point – et sur beaucoup d’autres -, l’inspecteur Patrik Hedström, amoureux transi, la rejoint.

À la conquête de la vérité, stimulée par un amour naissant, Erica, enquêtrice au foyer façon Desperate Housewives, plonge clans les strates d’une petite société provinciale qu’elle croyait bien connaître et découvre ses secrets, d’autant plus sombres que sera bientôt trouvé le corps d’un peintre clochard – autre mise en scène de suicide.

J’ai le troisième et quatrième tomes dans ma pile à lire et il m’en reste encore une dizaine avant de terminer la série. J’ai beaucoup aimé les deux premiers et j’ai véritablement envie de la continuer.

Bernie Gunther – Philip Kerr

Publiés pour la première fois dans les années 1989-1991, L’été de cristal, La pâle figure et Un requiem allemand évoquent l’ambiance du Ille Reich en 1936 et 1938, et ses décombres en 1947 Ils ont pour héros Bernie Gunther, ex-commissaire de la police berlinoise devenu détective privé. Désabusé et courageux, perspicace et insolent, Bernie est à l’Allemagne nazie ce que Phil Marlowe était à la Californie de la fin des années 30 : un homme solitaire témoin de la cupidité et de la cruauté humaines, qui nous tend le miroir d’un lieu et d’une époque. Des rues de Berlin  » nettoyées  » pour offrir une image idyllique aux visiteurs des Jeux olympiques, à celles de Vienne la corrompue, théâtre après la guerre d’un ballet de tractations pour le moins démoralisant, Bernie va enquêter au milieu d’actrices et de prostituées, de psychiatres et de banquiers, de producteurs de cinéma et de publicitaires. Mais là où la Trilogie se démarque d’un film noir hollywoodien, c’est que les rôles principaux y sont tenus par des vedettes en chair et en os : Heydrich, Himmler et Goering…

Une de mes séries préférées. Plus d’une dizaine de tomes, un personnage attachant et une série allant des années 20 jusqu’aux années 60. Chaque livre est très largement documenté. Il me manque le dernier tome à découvrir.

Vassili Axionov • La saga moscovite I (1992)

La Saga moscovite I et II • Vassili Axionov • Folio • 1992 • 1031 et 608 pages

À travers les destinées des Gradov, grands médecins, grands militaires, et celles des petites gens qui les entourent, c’est toute la Russie qui respire… comme elle peut, en l’une des périodes les plus dramatiques qu’elle ait connues : 1924-1953, dates du «règne» de Staline. Les Gradov sont des personnages bien romanesques, pris dans une vie quotidienne faite d’ambition, de dévouement, de contradictions, de passions, de rires. Les véritables sagas modernes sont, dans la littérature universelle, rarissimes. Celle-ci mérite bien son nom tant l’horizon qu’elle embrasse est vaste, tant sa phrase est exubérante et précise, tant ses personnages et leur fortune sont attachants. Telle est la magie d’un grand écrivain.

•••

Pour m’initier à la littérature contemporaine, j’ai suivi les recommandations d’H. qui organise ce mois dédié à la Russie avec moi. Il m’a parlé en des termes très élogieux de cette fresque familiale qui raconte l’histoire sur trois générations des Gradov. Le premier tome est impressionnant, il comporte plus de mille pages et les deux premiers romans de La saga moscovite. C’est à dire La génération d’hiver et Guerre & Prisons, magnifique clin d’oeil à Guerre & Paix qui est souvent cité par l’auteur (une prochaine lecture ?). J’y suis allée un peu à reculons devant ce pavé. J’avais quelques préjugés tenaces sur la littérature russe, notamment sur son côté indigeste, la multitude des personnages et leurs différentes manières d’être nommés… Cependant, le côté saga familiale est un premier argument en sa faveur, le contexte historique un deuxième. Pour ce premier tome, l’intrigue se déroule de la montée de Staline au pouvoir jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Comment Vassily Axionov m’a réconcilié avec la littérature russe ?

Il m’a certes fallu près de deux semaines pour venir à bout de cette petite brique, mais je m’y remettais chaque soir avec plaisir et pour mon plus grand bonheur. Dès les premières pages Axionov m’a happé dans la vie de cette famille moscovite qui tente tant bien que mal à garder son unité, leur famille intacte malgré l’histoire mouvementée de la Russie durant la majorité du XX siècle. Les Gradov sont une première raison de mon coup de coeur absolu pour ce premier tome. Ils se composent d’une première génération, Boris et Marie, de leurs enfants ensuite – Nikita, Kirill et Nina-, des conjoints et des enfants de ces derniers.

Aux premiers abords, cela semble faire beaucoup de personnages et ma première pensée a été de me dire que je ne m’en sortirai jamais, sachant qu’il faut rajouter également les personnages secondaires de l’intrigue. En réalité, les différents membres de la famille Gradov sont facilement reconnaissables et identifiables du fait de leur caractère diamétralement opposés et des chemins divers qu’ils prennent. Les liens et connexions avec les autres cercles se font aussi très vite et de manière très claire. Pour la famille, malgré leurs profils très variés, Axionov arrive à les rendre tous sympathiques aux yeux du lecteur. Rapidement, un lien s’est créé, car j’ai l’impression de faire partie de la famille ou de l’observer, comme un petit animal à la fenêtre, sentiment qui est renforcé par certains procédés narratifs mis en place par l’auteur et que j’évoquerai plus tard. J’ai véritablement vécu cette lecture au rythme de la famille Gradov. J’ai partagé leurs peines, leurs joies, leurs peurs d’être réveillés la nuit par la Tchéka… L’auteur m’a passionné du début à la fin.

Ce premier tome s’intéresse surtout à Nikita et Nina. Cette dernière permet de croiser certaines figures de la vie culturelle de l’époque, qu’ils soient auteurs, poètes ou peintres comme Pevsner. Je pense que le prochain tome mettra l’accent sur le deuxième frère, Kirill Gradov qui est relativement effacé de ce premier opus. Les dernières pages le réintroduisent et je suis à deux doigts de me jeter sur cette suite pour connaître le dénouement de La saga moscovite.

L’intrigue qui se développe sur un peu plus de mille pages est prenante et je ne pensais pas du tout à me retrouver un peu trop souvent à une heure du matin avec le livre encore entre les mains et, pourtant, j’ai souvent été incapable de le mettre de côté. Mes pensées y revenaient tout le temps. Vassili Axionov maîtrise le suspens d’une main de maître, sans avoir recours à des cliffhangers racoleurs pour que le lecteur continue. Je n’ai jamais eu à me forcer une seule seconde pour engloutir des pages et des pages. Il donne toujours envie d’en savoir plus. Souvent, je pressentais qu’un drame allait survenir par des changements d’ambiance, des indices. Comment, dans ces cas, poser le livre ne serait-ce qu’une minute ? Absurde et impensable !

Il faut aussi dire qu’Axionov mêle brillamment l’histoire et le destin des Gradov, personnages totalement fictifs, avec la grande Histoire. Je l’ai rapidement évoqué quand je parlai de Nina qui nous fait croiser des grands noms de la scène artistique et culturelle russe. Cependant, elle n’est pas la seule. Nikita et Boris nous font rencontrer Staline, Joukhov, Lavrenti Béria… J’adore quand la réalité historique et la fonction se mêlent si parfaitement que je ne sais plus vraiment dire là où l’une commence et l’autre finit. Même en sachant que les Gradov n’ont pas réellement existé, il est impossible de ne pas les prendre comme étant réels. Ils sont aussi tellement humains avec leurs sentiments, leurs craintes, leurs défauts et leurs erreurs.

De plus, le contexte historique est parfaitement posé, donnant l’impression aux lecteurs d’y être. Les descriptions de l’auteur sur la ville de Moscou m’ont donné envie de m’y rendre juste après avoir terminé le roman. Je rêve de pouvoir visiter la Russie un jour et j’ai presque eu le sentiment d’y être pendant quelques pages, d’avoir fait un bon dans le temps également. L’ambiance est retranscrite à la perfection.

La plume d’Axionov est incroyable et d’une beauté à couper le souffle. Il y a des passages très surprenants dans ce roman, inattendu serait aussi un bon qualificatif. Il y a des moments où l’auteur reprends des passages de la presse internationale et soviétique. C’est à la fois intéressant et perturbant, car je ne comprenais pas toujours les choix de l’auteur. À d’autres chapitres, le lecteur se glisse dans le corps d’un petit animal et c’est son point de vue. Il vient proposer un changement dans la narration qui me semblait intéressant. Ils étaient des grandes figures de l’histoire de la Russie comme Catherine de Russie. Ils permettent d’apporter une autre réflexion sur les événements en cours. Il y a de longs paragraphes qui sont renversants de beauté et de signification. La plume d’Axionov est probablement l’une des plus belles que j’ai pu lire.

M’envoler pour toujours et mourir au loin, songea-t-elle avec force. Quelques mois plus tard, elle avait traversé l’Europe en guerre et venait de se poser sur les tuiles d’un toit, près de la fenêtre d’une mansarde par laquelle on apercevait un homme chauve en maillot de marin. Elle examina de plus près la pente des toits et pleura de les reconnaître. Cependant, le chauve à l’oeil perçant l’avait, d’un seul trait de crayon, portée dans son album, avec son plumage hérissé.

Encore quelques années et ce dessin deviendrait le symbole de paix dont les profiteurs de la guerre froide devaient assez joliment faire leur beurre.

Vassili Axionov, La saga moscovite I, p.697 (Folio).

La saga moscovite est un énorme coup de coeur et j’ai bien fait de suivre les recommandations d’H. pour ce roman (Merci !). J’ai adoré chaque aspect de ce livre et, heureusement, il me reste encore le deuxième et dernier tome à lire pour prolonger cette merveilleuse expérience. Il faut lire Axionov. Il m’a définitivement réconcilié avec la littérature russe, en explosant tous les préjugés que j’avais pu avoir au passage.

Mes 10 livres de 2018

En 2018, j’ai lu 122 livres, soit une dizaine de moins que pour 2017, mais j’ai dévoré de nombreux pavés, notamment de la littérature russe. En un an, cela représente 38.181 pages (merci Goodreads de tenir le compte).

En cliquant sur les titres, vous pouvez lire la chronique que j’ai publié sur le livre et avoir mon avis complet.

Quels sont les dix livres qui m’ont marqué durant 2018 et que je recommande les yeux fermés ?

1 – The Miniaturist de Jesse Burton

On a brisk autumn day in 1686, eighteen-year-old Nella Oortman arrives in Amsterdam to begin a new life as the wife of illustrious merchant trader Johannes Brandt. But her new home, while splendorous, is not welcoming. Johannes is kind yet distant, always locked in his study or at his warehouse office, leaving Nella alone with his sister, the sharp-tongued and forbidding Marin.

L’intrigue prend place durant l’âge d’or hollandais à Amsterdam. Elle est remplie de mystères, de secrets de famille et de non-dits qui en font un parfait page-tourner dans une ambiance lugubre des plus réussies.

2 – Lumikko de Pasi Ilmari Jääskeläienen

Au sein d’un petit village finlandais prospère une étrange société littéraire secrète composée de neuf écrivains réunis autour de la figure tutélaire de Laura Lumikko, auteur à succès d’une série de livres fantastiques pour la jeunesse. En pénétrant peu à peu dans l’intimité de cette société – grâce à un Jeu aux règles complexes permettant d’arracher la vérité aux membres de la société – Ella, une jeune professeur de finlandais aux ovaires déficients, découvre le sombre secret de leur inspiration. Pendant ce temps, Laura Lumikko disparaît, tandis qu’une étrange peste semble s’être abattue sur les livres de la bibliothèque : certains livres voient leur fin subtilement altérer…

Ce roman est peut-être l’un des ouvrages les plus bizarres que j’ai pu lire cette année. Dès les premières pages, je ne savais pas où l’auteur m’emmenait ou quel était son but… Je me suis laissée porter et j’ai adoré le fait que Jääskeläienen flirtait parfois avec le fantastique, brouillant très souvent les frontières avec la réalité. Encore une très belle atmosphère.

3 – Little Monsters de Kara Thomas

« Vous est-il déjà arrivé de vouloir quelque chose au point d’en mourir ?  » Quand elle emménage à Broken Falls, une nouvelle vie commence pour Kacey. Tout le monde ici est tellement gentil. Et elle se fait même des amies, Bailey et Jade, qui l’accueillent à bras ouverts. Mais, soudaine, ces dernières se montrent étrangement distantes. Et elles omettent de l’inviter à la plus grosse soirée de l’année. Kacey, décidée à confronter ses amies, n’en aura pourtant jamais l’occasion : après la fête Bailey disparaît sans laisser de traces. Broken Falls ne semble plus si chaleureuse. Surtout pour elle, la nouvelle. Kacey est sur le point d’apprendre deux choses très importantes : parfois, les apparences peuvent se révéler trompeuses. Et parfois, quand on est la nouvelle, il ne faut faire confiance à personne.

Mon premier Kara Thomas est sûrement pas mon dernier. L’auteur nous livre un des meilleurs thrillers psychologiques que j’ai pu lire cette année. L’intrigue est incroyablement menée et il faut se méfier des apparences. Elles sont souvent bien trompeuses.

4 – the princess saves herself in this one d’amanda lovelace

« Ah, life – the thing that happens to us while we’re off somewhere else blowing on dandelions & wishing ourselves into the pages of our favorite fairytales. » A poetry collection divided into four different parts : the princess, the damsel, the queen, & you. The princess, the damsel, & the queen piece together the life of the author in three stages, while you serves as a note to the reader & all of humankind. Explores lives & all of its love, loss, grief, healing, empowerment, & inspirations. 

Depuis Rupi Kaur et son premier recueil de poésie, je m’essaie de plus en plus à la poésie contemporaine. Durant l’année, j’ai découvert r.h. sin et amanda lovelace et je garde surtout cette dernière en mémoire. J’adore sa poésie féministe, bienveillante avec des thèmes qui me parlent.

5 – Nord et Sud d’Elizabeth Gaskell

C’est le choc de deux Angleterre que le roman nous invite à découvrir : le Sud, paisible, rural et conservateur, et le Nord, industriel, énergique et âpre. Entre les deux, la figure de l’héroïne, la jeune et belle Margaret Hale. Après un long séjour à Londres chez sa tante, elle regagne le presbytère familial dans un village du sud de l’Angleterre. Peu après son retour, son père renonce à l’Eglise et déracine sa famille pour s’installer dans une ville du Nord. Margaret va devoir s’adapter à une nouvelle vie en découvrant le monde industriel avec ses grèves, sa brutalité et sa cruauté. Sa conscience sociale s’éveille à travers les liens qu’elle tisse avec certains ouvriers des filatures locales, et les rapports difficiles qui l’opposent à leur patron, John Thornton.

Cela faisait des années que je souhaitais me lancer dans ce classique de la littérature anglaise. Chose faite ! J’ai apprécié chacune des pages, les personnages et la relation amoureuse qui se tisse doucement ainsi que la période historique.

6 – Bernie Gunther, Les ombres de Katyn de Philip Kerr

Mars 1943. Le Reich vient de perdre Stalingrad. Pour Joseph Gobbels, il faut absolument redonner le moral à l’armée allemande et porter un coup aux Alliés. Or, sur le territoire soviétique, près de la frontière biélorusse, à Smolensk, ville occupée par les Allemands, depuis 1941, la rumeur enfle. Des milliers de soldats polonais auraient été assassinés et enterrés dans les fosses communes. L’Armée rouge serait responsable de ce massacre. Goebbels, qui voit là l’occasion de discréditer les Russes et d’affaiblir les Alliés, décide l’ouverture d’une enquête. Le capitaine Bernie Gunther du Bureau des crimes de guerres, organisme réputé antinazi, est la personne idéale pour accomplir cette délicate mission.

2018 a été marqué par la perte de mon auteur préféré, Philip Kerr. J’ai lu plusieurs de ses ouvrages autour de son détective allemand cette année. Tous étaient très bons, mais Les ombres de Katyn m’a époustouflé. C’est un de ses meilleurs.

7 – The Romanovs de Simon Sebag-Montefiore

The Romanovs were the most successful dynasty of modern times, ruling a sixth of the world’s surface for three centuries. How did one family turn a war-ruined principality into the world’s greatest empire? And how did they lose it all? This is the intimate story of twenty tsars and tsarinas, some touched by genius, some by madness, but all inspired by holy autocracy and imperial ambition. Simon Sebag-Montefiore’s gripping chronicle reveals their secret world of unlimited rivalries, sexual decadence and wild extravagance, with a global cast of adventurers, courtesans, revolutionaries and poets, from Ivan the Terrible to Tolstoy and Pushkin, to Bismarck, Lincoln, Queen Victoria and Lenin.

En 2018, la Russie a été à l’honneur sur le blog à travers la lecture de nombreux classiques et des auteurs plus contemporains, des essais, des films… Cet ouvrage de Simon Sebag-Montefiore est un des meilleurs et des plus complets que j’ai pu lire sur les Romanov.

8 – La saga moscovite de Vassili Axionov

À travers les destinées des Gradov, grands médecins, grands militaires, et celles de petites gens qui les entourent, c’est toute la Russie qui respire… Comme elle peut, en l’une des périodes les plus dramatiques qu’elle ait connues : 1924-1953, dates du « règne » de Staline. Les Gradov sont des personnages bien romanesques, pris dans une vie quotidienne faite d’ambition, de dévouement, de contradictions, de passions, de rires. Les véritables sagas modernes sont, dans la littératures universelle, rarissimes. Celle-ci mérite bien son nom tant l’horizon qu’elle embrasse est vaste, tant sa phrase est exubérante et précise, tant ses personnages et leur fortune sont attachants. Telle est la magie d’un grand écrivain.

Lu sur les sages recommandations de V., les deux tomes de cette saga familiale m’ont passionné. Une fois commencé, elle est impossible à mettre de côté. J’ai toujours voulu savoir quel allait être le destin des membres du clan Gradov. Une fois la dernière page tournée, j’ai eu un énorme pincement au coeur de savoir qu’il n’y avait pas de troisième tome.

9 – Asking for it de Louise O’Neill

It’s the beginning of the summer in a small town in Ireland. Emma O’Donovan is eighteen years old, beautiful, happy, confident. One night, there’s a party. Everyone is there. All eyes are on Emma.

The next morning, she wakes on the front porch of her house. She can’t remember what happened, she doesn’t know how she got there. She doesn’t know why she’s in pain. But everyone else does.

Photographs taken at the party show, in explicit detail, what happened to Emma that night. But sometimes people don’t want to believe what is right in front of them, especially when the truth concerns the town’s heroes…

Le roman qui m’a le plus bouleversé et révolté cette année. Il est à mettre entre toutes les mains, car l’histoire est criante de vérité et encore et toujours d’actualité.

10 – Anna Karénine de Léon Tolstoï

La quête d’absolu s’accorde mal aux convenances hypocrites en vigueur dans la haute société pétersbourgeoise de cette fin du XIXe siècle. Anna Karénine en fera la douloureuse expérience. Elle qui ne sait ni mentir ni tricher – l’antithèse d’une Bovary – ne peut ressentir qu’un profond mépris pour ceux qui condamnent au nom de la morale sa passion adultère. Et en premier lieu son mari, l’incarnation parfaite du monde auquel il appartient, lui plus soucieux des apparences que véritablement peiné par la trahison d’Anna. Le drame de cette femme intelligente, sensible et séduisante n’est pas d’avoir succombé à la passion dévorante que lui inspire le comte Vronski, mais de lui avoir tout sacrifié, elle, sa vie de femme, sa vie de mère. Vronski, finalement lassé, retrouvera les plaisirs de la vie mondaine. Dans son insondable solitude, Anna, qui ne peut paraître à ses côtés, aura pour seule arme l’humiliante jalousie pour faire vivre les derniers souffles d’un amour en perdition. Mais sa quête est vaine, c’est une « femme perdue ».

Encore de la littérature russe pour terminer ce top 10 de mes meilleures lectures pour l’année 2018. Il n’est pas besoin de le présenter et j’ai enfin pris le temps de le relire. Il est toujours aussi exceptionnel et un régal à lire.