Vassili Axionov • La saga moscovite I (1992)

La Saga moscovite I et II • Vassili Axionov • Folio • 1992 • 1031 et 608 pages

À travers les destinées des Gradov, grands médecins, grands militaires, et celles des petites gens qui les entourent, c’est toute la Russie qui respire… comme elle peut, en l’une des périodes les plus dramatiques qu’elle ait connues : 1924-1953, dates du «règne» de Staline. Les Gradov sont des personnages bien romanesques, pris dans une vie quotidienne faite d’ambition, de dévouement, de contradictions, de passions, de rires. Les véritables sagas modernes sont, dans la littérature universelle, rarissimes. Celle-ci mérite bien son nom tant l’horizon qu’elle embrasse est vaste, tant sa phrase est exubérante et précise, tant ses personnages et leur fortune sont attachants. Telle est la magie d’un grand écrivain.

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Pour m’initier à la littérature contemporaine, j’ai suivi les recommandations d’H. qui organise ce mois dédié à la Russie avec moi. Il m’a parlé en des termes très élogieux de cette fresque familiale qui raconte l’histoire sur trois générations des Gradov. Le premier tome est impressionnant, il comporte plus de mille pages et les deux premiers romans de La saga moscovite. C’est à dire La génération d’hiver et Guerre & Prisons, magnifique clin d’oeil à Guerre & Paix qui est souvent cité par l’auteur (une prochaine lecture ?). J’y suis allée un peu à reculons devant ce pavé. J’avais quelques préjugés tenaces sur la littérature russe, notamment sur son côté indigeste, la multitude des personnages et leurs différentes manières d’être nommés… Cependant, le côté saga familiale est un premier argument en sa faveur, le contexte historique un deuxième. Pour ce premier tome, l’intrigue se déroule de la montée de Staline au pouvoir jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Comment Vassily Axionov m’a réconcilié avec la littérature russe ?

Il m’a certes fallu près de deux semaines pour venir à bout de cette petite brique, mais je m’y remettais chaque soir avec plaisir et pour mon plus grand bonheur. Dès les premières pages Axionov m’a happé dans la vie de cette famille moscovite qui tente tant bien que mal à garder son unité, leur famille intacte malgré l’histoire mouvementée de la Russie durant la majorité du XX siècle. Les Gradov sont une première raison de mon coup de coeur absolu pour ce premier tome. Ils se composent d’une première génération, Boris et Marie, de leurs enfants ensuite – Nikita, Kirill et Nina-, des conjoints et des enfants de ces derniers.

Aux premiers abords, cela semble faire beaucoup de personnages et ma première pensée a été de me dire que je ne m’en sortirai jamais, sachant qu’il faut rajouter également les personnages secondaires de l’intrigue. En réalité, les différents membres de la famille Gradov sont facilement reconnaissables et identifiables du fait de leur caractère diamétralement opposés et des chemins divers qu’ils prennent. Les liens et connexions avec les autres cercles se font aussi très vite et de manière très claire. Pour la famille, malgré leurs profils très variés, Axionov arrive à les rendre tous sympathiques aux yeux du lecteur. Rapidement, un lien s’est créé, car j’ai l’impression de faire partie de la famille ou de l’observer, comme un petit animal à la fenêtre, sentiment qui est renforcé par certains procédés narratifs mis en place par l’auteur et que j’évoquerai plus tard. J’ai véritablement vécu cette lecture au rythme de la famille Gradov. J’ai partagé leurs peines, leurs joies, leurs peurs d’être réveillés la nuit par la Tchéka… L’auteur m’a passionné du début à la fin.

Ce premier tome s’intéresse surtout à Nikita et Nina. Cette dernière permet de croiser certaines figures de la vie culturelle de l’époque, qu’ils soient auteurs, poètes ou peintres comme Pevsner. Je pense que le prochain tome mettra l’accent sur le deuxième frère, Kirill Gradov qui est relativement effacé de ce premier opus. Les dernières pages le réintroduisent et je suis à deux doigts de me jeter sur cette suite pour connaître le dénouement de La saga moscovite.

L’intrigue qui se développe sur un peu plus de mille pages est prenante et je ne pensais pas du tout à me retrouver un peu trop souvent à une heure du matin avec le livre encore entre les mains et, pourtant, j’ai souvent été incapable de le mettre de côté. Mes pensées y revenaient tout le temps. Vassili Axionov maîtrise le suspens d’une main de maître, sans avoir recours à des cliffhangers racoleurs pour que le lecteur continue. Je n’ai jamais eu à me forcer une seule seconde pour engloutir des pages et des pages. Il donne toujours envie d’en savoir plus. Souvent, je pressentais qu’un drame allait survenir par des changements d’ambiance, des indices. Comment, dans ces cas, poser le livre ne serait-ce qu’une minute ? Absurde et impensable !

Il faut aussi dire qu’Axionov mêle brillamment l’histoire et le destin des Gradov, personnages totalement fictifs, avec la grande Histoire. Je l’ai rapidement évoqué quand je parlai de Nina qui nous fait croiser des grands noms de la scène artistique et culturelle russe. Cependant, elle n’est pas la seule. Nikita et Boris nous font rencontrer Staline, Joukhov, Lavrenti Béria… J’adore quand la réalité historique et la fonction se mêlent si parfaitement que je ne sais plus vraiment dire là où l’une commence et l’autre finit. Même en sachant que les Gradov n’ont pas réellement existé, il est impossible de ne pas les prendre comme étant réels. Ils sont aussi tellement humains avec leurs sentiments, leurs craintes, leurs défauts et leurs erreurs.

De plus, le contexte historique est parfaitement posé, donnant l’impression aux lecteurs d’y être. Les descriptions de l’auteur sur la ville de Moscou m’ont donné envie de m’y rendre juste après avoir terminé le roman. Je rêve de pouvoir visiter la Russie un jour et j’ai presque eu le sentiment d’y être pendant quelques pages, d’avoir fait un bon dans le temps également. L’ambiance est retranscrite à la perfection.

La plume d’Axionov est incroyable et d’une beauté à couper le souffle. Il y a des passages très surprenants dans ce roman, inattendu serait aussi un bon qualificatif. Il y a des moments où l’auteur reprends des passages de la presse internationale et soviétique. C’est à la fois intéressant et perturbant, car je ne comprenais pas toujours les choix de l’auteur. À d’autres chapitres, le lecteur se glisse dans le corps d’un petit animal et c’est son point de vue. Il vient proposer un changement dans la narration qui me semblait intéressant. Ils étaient des grandes figures de l’histoire de la Russie comme Catherine de Russie. Ils permettent d’apporter une autre réflexion sur les événements en cours. Il y a de longs paragraphes qui sont renversants de beauté et de signification. La plume d’Axionov est probablement l’une des plus belles que j’ai pu lire.

M’envoler pour toujours et mourir au loin, songea-t-elle avec force. Quelques mois plus tard, elle avait traversé l’Europe en guerre et venait de se poser sur les tuiles d’un toit, près de la fenêtre d’une mansarde par laquelle on apercevait un homme chauve en maillot de marin. Elle examina de plus près la pente des toits et pleura de les reconnaître. Cependant, le chauve à l’oeil perçant l’avait, d’un seul trait de crayon, portée dans son album, avec son plumage hérissé.

Encore quelques années et ce dessin deviendrait le symbole de paix dont les profiteurs de la guerre froide devaient assez joliment faire leur beurre.

Vassili Axionov, La saga moscovite I, p.697 (Folio).

La saga moscovite est un énorme coup de coeur et j’ai bien fait de suivre les recommandations d’H. pour ce roman (Merci !). J’ai adoré chaque aspect de ce livre et, heureusement, il me reste encore le deuxième et dernier tome à lire pour prolonger cette merveilleuse expérience. Il faut lire Axionov. Il m’a définitivement réconcilié avec la littérature russe, en explosant tous les préjugés que j’avais pu avoir au passage.

8 réflexions sur “Vassili Axionov • La saga moscovite I (1992)

  1. Bonjour Marion !
    Quelle belle chronique ! Je me retrouve totalement dans tes impressions et réactions. Tu as su trouver les mots justes.
    En ce qui concerne les moments inattendus que tu décris, je les avais perçus comme des pauses dans le récit, des sortes d’entractes. Très original et pour le coup très réussi. Il n’y a qu’à s’asseoir et sitôt le livre ouvert, Axionov nous prend par la main de la première à la dernière page.
    J’espère que la troisième partie te plaira autant.

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    • Merci beaucoup pour ton retour et ton compliment sur ma chronique !

      C’est vrai que ces pauses – que je voyais plus comme permettant à l’auteur de porter un regard plus critique sur ce qui se passait – était vraiment intéressant. Je pense que la troisième partie sera lue en décembre, mais il me tarde déjà !

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  2. C’est un livre qu’il me plairait de lire, j’ai découvert la littérature russe avec Le chapiteau rouge que j’avais beaucoup aimé. J’en garde encore certaines images dans ma tête, très tendres et très mélancoliques.

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